Journaliste politique pour Médiapart depuis 2010, Lénaïg Bredoux a été nommée responsable éditoriale aux questions de genre en 2020. Son rôle est de veiller à la bonne représentation des femmes dans le traitement éditorial, et elle continue de publier des enquêtes consacrées aux violences sexistes et sexuelles.

 

Comment a été prise la décision de créer ce poste de Gender editor chez Médiapart, quel a été le déclencheur ?

C’est une réflexion que nous avons menée sur plusieurs années. Elle est liée d’un côté à notre investissement éditorial croissant sur ces sujets, notamment depuis nos premières révélations sur les violences sexuelles avec l’affaire Baupin, qui ont évidemment pris une nouvelle dimension 18 mois plus tard avec #MeToo, et nos révélations suivants, à l’image du travail de Marine Turchi sur Adèle Haenel. De l’autre, la presse est interpellée ces dernières années par la société, par les mouvements féministes, et par les très nombreuses études qui existent pointant les biais que nous avons dans la représentation du monde. Parmi ces biais, il y a évidemment l’invisibilisation des femmes (cf. statistiques du CSA, du HCE, du GMPP – toutes convergentes et toutes constantes dans le temps), et les stéréotypes (les femmes sont témoins, victimes, rarement des expertes). Le confinement de 2020 en a été une illustration flagrante.

C’est tout ce processus qui nous a conduit à créer ce poste, dont le principe a été discuté au printemps 2020. Il a été ouvert en octobre 2020.

 

En quoi consiste votre travail, concrètement ? Et comment avez-vous été accueillie par les journalistes de la rédaction ?

Mon travail repose sur deux piliers principaux : la coordination éditoriale (un travail classique de « cheffe de service » dans d’autres rédactions) sur les violences sexistes et sexuelles et les questions en genre plus généralement, en lien avec l’ensemble des services du journal (il s’agit d’un poste transversal) et des pigistes ; le travail d’amélioration de nos pratiques journalistiques (écriture inclusive, mots choisis comme « pédocriminalité » plutôt que « pédophilie », étude du nombre d’hommes et de femmes cité dans nos articles…). Par ailleurs, je suis parfois sollicitée, avec l’ensemble de la direction, et l’ensemble des services du journal, pour veiller à ce que les bonnes pratiques d’égalité et en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles soient appliquées.

J’ai été bien accueillie car je suis journaliste à Mediapart depuis plus 10 ans. Je ne suis pas arrivée de l’extérieur. Par ailleurs, le cheminement qui a conduit à l’ouverture de ce poste a été un cheminement collectif, et partagé.

 

Depuis 2 ans comment a évolué la visibilité des femmes dans le traitement médiatique de Mediapart ?

C’est difficile à évaluer précisément. Mais nous constatons des améliorations sur le nombre de sujets traités, sur les nouvelles thématiques que nous pouvons désormais suivre dans le journal. Et nous le constatons aussi notamment dans notre émission quotidienne A l’air libre.

 

Est-ce que votre travail a aussi contribué à faire évoluer la composition de la rédaction ? 

 La rédaction était à peu près paritaire, elle l’est toujours et, avec d’autres, j’y veille. Mais là, il s’agit typiquement d’un engagement partagé très largement, et de longue date à Mediapart.

 

Quels sont, encore aujourd’hui les principaux obstacles pour plus d’égalité dans le paysage médiatique ?

 Le sexisme! Les inégalités de la société auxquelles les médias n’échappent pas. Et puis, nos médias sont dirigés très majoritairement par des personnes – des hommes – qui se sont très peu intéressés à ces sujets. C’est tout un conservatisme qu’il faut aujourd’hui faire bouger.

 

Est-ce que les contrats d’objectifs et de moyens des mesures quantifiées de présence féminine sont des moyens efficaces pour plus d’égalité ?

Je pense que tous les outils peuvent être utiles, mais qu’aucun ne suffit à lui seul!

 

Pensez-vous que le CSA (Arcom), mène efficacement sa mission de contrôle pour plus d’égalité ?

 Une mission a été menée récemment sur le sujet, avec beaucoup d’auditions et un rapport intéressant. Des membres du CSA sont très sensibles et compétentes sur le sujet. Mais les moyens de contrôle sont les mêmes que sur les propos racistes… Faibles !

 

Vous êtes une observatrice privilégiée des pratiques des médias en matière d’égalité. Avez-vous des références ?

Je vais rester en France pour montrer qu’on peut aussi faire des choses, malgré un contexte parfois plus hostile qu’ailleurs. L’AFP et Ouest France notamment ont travaillé sur leurs pratiques, écrit une charte, lancé une newsletter… C’est très encourageant !

 

Vous avez lancé La Lettres pour tous.tes, une newsletter consacrée à l’actualité des batailles pour l’égalité. Quels sont vos objectifs et quelle est votre cible ?

L’objectif est de montrer l’ampleur du travail que fait Mediapart aujourd’hui sur ces sujets, de montrer qu’ils se nichent dans de nombreuses rubriques, avec des formats différents (texte, vidéo, photo), d’illustrer la richesse de ce que nous produisons et de ces thématiques… Et nous voulons aussi pouvoir montrer le travail fait non seulement par la rédaction mais par l’ensemble de l’entreprise : au service abonné·es, à la modération, sur les réseaux sociaux. Parce que nous croyons que la diffusion et l’échange sur ces pratiques peuvent nous permettent d’avancer, de progresser, de réfléchir encore !

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© Mediapart

Propos recueillis par Anka Wessang

En savoir plus sur les Gender editors : https://larevuedesmedias.ina.fr/gender-editor-femmes-representation-medias

 

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