Hervé Asquin est journaliste, il a dirigé le bureau de Strasbourg de l’AFP entre 2018 à 2022. Il publie « Le jugement dernier – La cour européenne des droits de l’homme – Ultime recours contre les dérives autoritaires et populistes » aux éditions L’Archipel.
Après vos deux précédents ouvrages sur l’Afghanistan et la présidence de François Hollande, pourquoi avez-vous choisi la CEDH ?
Cet essai procède de la même intention que les deux précédents : aller au-delà de l’actualité immédiate pour approfondir et élargir le sujet. J’ai été frappé lorsque j’étais à Strasbourg par l’impact des décisions de la CEDH à l’étranger mais aussi par tout ce qu’elle a entraîné comme changements concrets pour le respect des droits fondamentaux des Européens et des Français notamment. A l’étranger, l’affaire la plus emblématique de cette période restera l’affaire Navalny. Malheureusement, les exhortations de la Cour et du Conseil de l’Europe exigeant sa libération immédiate et dénonçant le caractère politique des poursuites engagées contre lui en Russie sont restées vaines. On connaît la suite… Quant à l’impact des décisions de la CEDH sur la France, il est marqué par des avancées considérables sur des questions comme la présence de l’avocat en garde à vue, la fin de vie, la GPA ou les écoutes téléphoniques.
Avez-vous découvert des aspects de cette juridiction que vous ignoriez au cour de votre enquête ?
Le plus surprenant aura été la genèse de cette juridiction. Elle n’aurait pas vu le jour sans une volonté farouche de Churchill qui, dès 1942, en pleine guerre donc, alors que Londres était sous le feu de l’Allemagne nazie, avait imaginé une nouvel ordre mondial avec, entre le puissant allié américain et l’Union soviétique, des Etats-Unis d’Europe réunis autour d’une valeur commune, les droits de l’homme. Churchill était un Européen convaincu venu plaider cette cause au balcon de l’Aubette, face à la foule réunie sur la place Kléber en 1949. Simplement, il estimait que le Royaume-Uni devait occuper une place particulière dans cette future construction européenne, la couronne britannique étant à la tête du Commonwealth. Comme de Gaulle tiendra la France à l’écart de la CEDH, voulant restaurer la grandeur de la France après la tache de la collaboration. Tout ceci n’a rien à voir avec les arguments avancés par les tenants du Brexit ou du Frexit… Il y avait là deux desseins quasi messianiques.
Pourquoi avez-vous proposé à Laurent Fabius de signer la préface de cet ouvrage ?
Laurent Fabius est président en exercice du Conseil constitutionnel. Il a été le Premier ministre de François Mitterrand, le président de l’Assemblée nationale, ministre à plusieurs reprises… Mais surtout, il a été le président de la COP21 qui a marqué un tournant dans la lutte contre le dérèglement climatique, gravant dans le marbre la limite de 2° C de réchauffement. Qui, mieux que lui, pouvait donc incarner ces enjeux majeurs et tout particulièrement l’enjeu climatique dont la CEDH vient de s’emparer ?
La CEDH est plus que jamais un rempart contre les dérives liberticides portées par les partis d’extrêmes droites crédités de 25% de voix aux prochaines élections européennes. Comment, selon vous, cette institution peut-elle gagner en visibilité ?
Avec mon livre bien sûr (rires)… Au-delà de la boutade, la CEDH souffre bien sûr d’un déficit de reconnaissance, en particulier en France. Cela s’explique bien sûr par ce paradoxe : la France a accueilli cette juridiction supranationale sur son territoire, à Strasbourg, dès sa création en 1959 mais a été le dernier Etat fondateur du Conseil de l’Europe, a permettre à ses citoyens de la saisir individuellement. C’était en 1981, le jour-même où la peine de mort avait été abolie. Et c’était l’oeuvre de Robert Badinter auquel il faut donc rendre un hommage particulier. Mais au-delà, il y a tout ce bashing visant les institutions européennes…
La condamnation de la Suisse par la CEDH début avril pour inaction climatique est historique. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle jurisprudence ?
Elle donnera bien davantage de poids aux poursuites engagées par les ONG et de simples citoyens européens contre les Etats pour inaction climatique et marque effectivement un tournant historique. Pour la première fois, une juridiction supranationale a condamné un Etat, en l’occurence la Suisse, sur ce fondement. Et plus encore, la CEDH a reconnu le droit des générations futures à vivre sur une planète tout simplement vivable. La Cour est ainsi restée f!dèle à sa vision progressiste du droit qui tient compte des évolutions de la société. Et c’est ce qui déplaît tant aux mouvements d’extrême droite européens et notamment français mais aussi à une certaine droite conservatrice. La gauche française n’est pas non plus exempte de critiques. Depuis Robert Badinter, il ne se trouve plus grand monde dans ses rangs pour défendre la justice européenne. Et l’extrême gauche s’est jointe à l’extrême droite dans sa détestation de l’Europe.
*Hervé Asquin a été correspondant de l’Agence France-Presse en Allemagne, à Bonn puis à Berlin, de 1994 à 2000, puis auditeur de la 56e session de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) en 2003 et 2004. Après deux années à la rédaction en chef de l’AFP et un passage par le Liban lors du conflit entre le Hezbollah et Israël, il a été, de 2006 à 2010, le correspondant Défense de l’agence. Il a couvert la présidence Française de 2012 à 2017, à l’Élysée, et occupé diverses autres rubriques et fonctions à l’AFP comme les médias et la macro-économie. Il est aussi l’auteur d’un récit du quinquennat de Francois Hollande publié aux éditions de L’Archipel, « L’Elysée selon Hollande », et d’un ouvrage sur l’Afghanistan, « La guerre la plus longue », Ed. Calmann-Lévy.
Propos recueillis par Anka Wessang