Lorsqu’Anka Wessang du Club de la Presse Strasbourg Europe m’a sollicitée pour rédiger quelques lignes sur le bilinguisme, elle m’a précisé qu’elle cherchait à recueillir le témoignage d’une personne qui « incarne » ce bilinguisme ; le verbe « incarner » m’a plu, m’a touché, m’a parlé. Car lorsque je prends du recul, c’est bel et bien de cela dont il s’agit : au quotidien, je vis le bilinguisme, je l’investis, il résonne et vibre en moi. Et dans « incarner », il y a « carne » : la chair !
Tous les bilingues vous le diront : être bilingue, ce n’est pas simplement parler plusieurs langues. Être bilingue, c’est appréhender le monde selon des perspectives différentes, l’observer, s’en préoccuper et en être actrice, avec comme point de départ un regard, pour ainsi dire…multidirectionnel. Et tout cela, sans en être véritablement consciente.
Mes filles, baignées depuis leur naissance dans trois langues (l’alsacien, le français et l’allemand) l’exprimeraient certainement encore mieux que moi : lorsqu’elles switchent d’une langue à l’autre selon l’interlocuteur, le contexte, la situation, elles ne le calculent pas, elles ne le réfléchissent pas, elles ne l’intellectualisent pas. C’est instinctif, naturel.
Et aussi étonnant que cela puisse paraître, lorsqu’on est bi- ou plurilingue, on fait constamment appel à toutes ses compétences linguistiques. Par exemple, lorsque je parle alsacien, mon français n’est pas éteint pour autant. Il est là, présent, alors même qu’une autre langue est à l’œuvre dans mon cerveau et dans mon corps. Et il en est de même avec toutes les langues que je pratique au quotidien. L’image qui me vient ici est celle d’un multi-instrumentiste : la pratique d’un instrument enrichit celle des autres instruments qu’il joue. Dans sa tête et dans son cœur, c’est un orchestre permanent.
Et à la célèbre citation de Germain Muller « Redd wie d’r de Schnàwwel gewàchse ìsch, bàbbel wie d’r de Schaddel geböie ìsch* » je rajouterais : « Redd, wie d’r ’s Harz gebobbelt ìsch** ».
*Parle comme le bec a poussé, parle comme tu le ressens
**Parle comme le coeur te le souffle
Avec la complicité de Patrice Schumacher et Michèle Haller.
La Collectivité européenne d’Alsace lance pour 2025 l’Année du bilinguisme.
Cette année sera ponctuée d’événements marquant sur l’ensemble du territoire alsacien.