Nazan Gökdemir est journaliste et présentatrice de télévision. Elle est née le 31 décembre 1980 à Hanovre, en Allemagne. Après son Bac et un an de stage à Paris Nazan Gökdemir a suivi un cursus bilingue en culture médiatique européenne à Weimar, en Allemagne et à Lyon. Après une formation journalistique (Redaktionsvolontariat) à la ZDF (tv publique allemande) elle a travaillé comme reporter pour plusieurs formats d’information de la chaîne. Depuis 2012 Nazan Gökdemir présente la version allemande d’ARTE Journal et, depuis 2020, le magazine d’information Heute Journal Update de la ZDF. Elle a également animé de grands rendez-politiques allemands et franco allemands (entre autre en 2019 le traité d’Aix-la-Chapelle avec le Président Macron et l’ex-chancelière Angela Merkel).

Nazan Gökdemir répond aux questions d’actu :

 

Le 30 avril vous présenterez une édition spéciale d’ARTE Journal* consacrée aux enjeux de l’élection européenne 2024. Pouvez-vous nous dire comment est construite cette émission spéciale et qui seront vos invités ?

Dans notre émission spéciale, la rédaction d’ARTE Journal souhaite avant tout proposer des clés de compréhension et permettre à notre public des deux côtés du Rhin et ailleurs en Europe de bien comprendre les enjeux de ces élections européennes. Pendant notre spéciale de 90 minutes nous mettrons le focus sur trois grandes thématiques de la campagne : migration et frontières, climat et environnement, économie. Il sera également question de la guerre en Ukraine et des manœuvres de désinformation orchestrées par le pouvoir russe.

Pour comprendre les problématiques et défis que représentent les principaux enjeux de ce scrutin, nous nous appuierons sur des analyses et des reportages sur le terrain ainsi que des duplex avec nos correspondants partout en Europe, notamment à Bruxelles, en Espagne, aux Pays-Bas, en Pologne etc.

Nous approfondirons le débat dans chacune des grandes thématiques avec des experts. Pour le climat par exemple, nous allons solliciter la climatologue Valérie Masson-Delmotte. Et dans le studio ici à Strasbourg, je serais accompagnée par le politologue allemand, Nicolai von Ondarza, spécialiste en politiques européennes.

A la suite de la spéciale  d’Arte Journal, nous poursuivrons notre focus sur les Européennes avec la soirée Thema, à travers deux documentaires. Le premier, intitulé « Le compromis, dans les coulisses du pouvoir » est une immersion au sein du Parlement auprès de trois eurodéputées. Il met en exergue leur combat pour obtenir une loi permettant de replacer les grandes entreprises européennes face à leurs responsabilités en matière d’environnement et de droits de l’Homme. Le deuxième documentaire, « L’Union européenne, l’art de l’équilibre » se penche sur une autre question cruciale pour l’avenir de l’Union, à savoir la compétition entre les fédéralistes perçus par certains comme « élitistes » et les populistes qui s’affirment « euroréalistes ». Qui l’emportera, comment le Parlement fera-t-il face à la montée des extrêmes ? Le vote nous aidera à y voir plus clair…

 

En tant que journaliste vous couvrez les élections européennes pour la 3e fois (2014, 2019, 2024). En quoi l’élection de juin 2024 diffère-t-elle des précédentes ?

L’intérêt des médias pour les élections européennes a considérablement augmenté ces dernières années. Il y a dix ans, les enjeux européens étaient nettement moins présents dans la façon dont la population percevait ces élections. En 2024 beaucoup plus de citoyens européens sont conscients à quel point la politique européenne influence notre vie quotidienne.

En tant que chaîne européenne, la politique de l’Union européenne, les rapports de forces en coulisses au Parlement à Bruxelles comme à Strasbourg, sont des sujets que la rédaction d’Arte Journal traite quotidiennement, c’est l’ADN de notre journal. Il ne s’agit pas seulement de fournir des informations et explications mais aussi d’exercer en tant que chaîne européenne une sorte de mission de contrôle sur les responsables des gouvernements de l’Union. Nous n’hésitons pas à dénoncer ceux qui foulent du pied ou pervertissent les valeurs européennes. Elles sont fondamentales pour Arte. Mais si l’intérêt pour les élections européennes a augmenté ces dernières années, c’est aussi en raison de la guerre en Ukraine. L’invasion russe a bouleversé l’architecture de la sécurité européenne et nous a plongé dans un profond désarroi tout en nous obligeant à « repenser » l’Europe. Mais il n’y a pas que des conséquences négatives : de nombreux citoyens européens ont compris à cause de ce conflit que l’UE ne pouvait être forte qu’ensemble et qu’elle ne pourra surmonter les défis actuels que si elle est unie autour d’un solide système de valeurs.

Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est la montés des extrêmes dans de nombreux pays.

 

Vous partagez votre vie entre Strasbourg et Mayence. Hors contexte spécifique des élections européennes, constatez-vous une différence dans le traitement des informations européennes par les médias allemands et les médias français ?

En général, je dirais que non. Mais il y a un sujet ou je sens des différences  de mises en perspectives et parfois aussi des partis pris éditoriaux : c’est le Moyen-Orient, la guerre dans la bande de Gaza. Contrairement à la France, la solidarité avec Israël fait partie de la raison d’État en l’Allemagne. Les journalistes allemands sont parfois critiqués par les téléspectateurs français, car ils sont perçus comme trop pro-israéliens, pas assez fermes face à l’offensive de l’État hébreu. Et du point de vue des téléspectateurs allemands, les sujets sur Gaza réalisés par des journalistes français, sont souvent jugés comme pro-palestiniens. Nous n’avons pas le même background historique mais nous essayons tous les jours d’être équilibrés et le plus objectifs possible. C’est un challenge quotidien !

 

Mayence et Strasbourg partagent l’héritage de Gutenberg, en cette année 2024 qui célèbre Strasbourg Capitale mondiale du livre pouvez-vous nous faire part de vos 3 derniers coups de cœur littéraires ?

En ce moment je lis « Amours en fuite » de Bernhard Schlink. Un recueil de 7 nouvelles du l’auteur du superbe roman « Le liseur », que je recommande aussi par ailleurs. Après une première lecture il y a 15 ans, en allemand, cette fois, je lis le livre en français.

Un autre livre que j’ai adoré c’est « Hard Land » de Benedict Wells (auteur de « La fin de la solitude »). Une merveilleuse histoire très attachante d’amour et d’amitié. Un retour à un temps passé, notre jeunesse.

Last but not least : « Saubere Zeiten », d’Andreas Wunn. L’histoire dramatique d’une famille d’entrepreneurs en Allemagne et un grand roman père-fils. Il s’agit d’un secret bien gardé et d’un amour malheureux.

 

Le 3 mai, est la Journée mondiale de la liberté de la presse. Quelles sont les figures du journalisme contemporain qui vous inspirent ?

Toute personne qui lutte pour la liberté d’expression et la liberté de la presse mérite tout notre respect. Au lieu de citer ici deux ou trois grands noms, je voudrais plutôt rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui sont en prison parce qu’ils défendent les valeurs démocratiques, les droits fondamentaux. Nous devrions nous souvenir de leur courage et de leur intrépidité. Fin 2023, environ 320 journalistes étaient emprisonnés en raison de leur travail !

Selon le rapport du Comité pour la protection des journalistes plus d’un tiers de tous ces cas sont en Chine, au Myanmar, en Russie et en Biélorussie. Les oublier serait le plus beau cadeau que nous puissions faire aux dictateurs et autocrates du monde. On ne doit pas les oublier !

 

* https://www.arte.tv/fr/videos/119212-000-A/europe-2024/

Propos recueillis par Anka Wessang © ARTE

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