Depuis un an, la journaliste Hérade Feist est la rédactrice en chef de ARTE reportage. Cette case magazine va diffuser sa 1000e émission, et une série d’événements sont prévus*. Nous avons rencontré Hérade Feist à Strasbourg, au siège de la chaîne franco-allemande.
Depuis 20 ans, dédiée à l’actualité internationale, ARTE Reportage témoigne des soubresauts du monde en diffusant des reportages exceptionnels et exclusifs, chaque samedi à 18h35.
En 2025, ARTE Reportage est une équipe resserrée de 3 journalistes autour de la rédactrice en chef. Mais la rédaction travaille avec une quarantaine de journalistes extérieurs et une quinzaine de sociétés de production, la majorité des reportages sont co-produits. Deux présentateurs se succèdent pour animer et enregistrer, à Strasbourg, l’émission diffusée le samedi. L’émission s’appuie sur les pôles de production et d’administration de la chaîne.
ARTE Reportage est aussi désormais l’unique émission de grands reportages consacrée à l’actualité internationale en France. L’une des rares en Allemagne et très singulière dans le paysage audiovisuel européen.
Pour cette raison, la rédaction reçoit énormément de propositions de sujets. L’émission est reconnue auprès de la profession pour cette spécificité “l’une des dernières fenêtres sur le monde”. Les reportages ARTE Reportage sont ainsi sur-représentés lors des festivals (FIGRA, Bayeux, etc.) où ils figurent parfois dans pas moins d’un tiers, voire, deux tiers des sélections.
En 2024, ARTE Reportage a couvert les conflits majeurs, mais aussi, a été l’une des rares émissions à couvrir la guerre au Soudan et la première à documenter les viols de masse à Tigré (Ethiopie). Le choix des sujets est fait par Hérade Feist. C’est elle qui tranche pour trouver un équilibre entre l’actu internationale et les sujets moins courus. Un mixte et une diversité nécessaire.
CONTOURNER LES INTERDICTIONS
Le monde de 2025 est particulièrement cloisonné et interdit aux reporters. La Russie, l’Afghanistan, l’Iran, ou encore Gaza, restreignent sévèrement l’accès des journalistes à leurs territoires ou imposent des conditions de travail extrêmement difficiles, entravant ainsi la liberté de la presse. Pour autant la rédaction ne se démobilise pas et cherche des solutions pour continuer à informer et contourner les interdictions.
– Depuis le 7 octobre 2023, 3 sujets ont pu être proposés sur Gaza, grâce au journaliste gazaoui Ahmed Deeb exilé à Istanbul. Malgré la situation alarmante de la liberté de la presse, marquée par des violences ciblées et des restrictions mettant en péril la sécurité des journalistes sur le terrain.
– Autre exemple, au Nicaragua où les media subissent une répression accrue depuis la réélection du président Ortega. La presse vit un véritable cauchemar : censure, intimidations, menaces… Les journalistes sont stigmatisés et harcelés, et confrontés à des arrestations arbitraires et des menaces de mort (RSF). Là, les risques sont assumés par la rédaction.
Alors qu’il réalisait un documentaire pour ARTE sur la répression des opposants par le régime nicaraguayen, le journaliste Antoine Boddaert qui disposait d’un visa touriste a été arrêté. Il raconte arrestation, interrogatoires et intimidations dans son reportage Nicaragua: un dictateur contre l’Église. Accusé de terrorisme, il encourait 25 ans de réclusion. Il sera finalement expulsé au Panama. Un épisode que Hérade Feist tout juste arrivée à la tête d’ARTE Reportage a dû gérer, “un baptême du feu”.
Enfin, sur les terrains où c’est vraiment impossible et trop dangereux “c’est très frustrant, mais il faut se résoudre”.
Les reporters qui partent font des stages pour assurer leur sécurité physique, psychologique, mais désormais aussi numérique, une préoccupation croissante pour la profession. La cybersécurité est un défi en constante évolution.
Même si cette possibilité pour les journalistes d’envoyer leurs vidéos, photos, textes en temps réel leur permet de ne pas porter sur eux des preuves qui pourraient s’avérer accablantes, et de contourner les terrains fermés. Mais la plus grande difficulté, et une préoccupation majeure de la rédaction, est de garantir la sécurité des personnages, des fixeurs ou toute autre personne impliquée de près ou de loin dans le reportage.
LA RÉALITÉ DU MONDE DANS SA GLOBALITÉ
Si l’actu internationale est marquée par des guerres et des tragédies, Hérade Feist veille à montrer la réalité du monde dans sa globalité. Des histoires à hauteur d’hommes et de femmes, des récits de vie et de résilience. Pour donner à voir aussi de beaux exemples et des initiatives réjouissantes, de l’espoir dans un monde pourtant bien sombre. “Mais actuellement l’actu internationale ne laisse pas beaucoup de place au reste”.
A la question “En 2025, en dehors de l’actu internationale, quelles sont selon vous les zones d’intérêt ?” Hérade Feist exprime son grand intérêt pour le Maghreb. La Tunisie, l’Algérie où plusieurs sujets pourraient être traités. Mais aussi la société saoudienne, et “pouvoir continuer à raconter la Russie”.
Dans son bureau à Strasbourg, une grande carte du monde est couverte de drapeaux indiquant tous les lieux de tournage d’ARTE Reportage : une couverture du monde presque exhaustive !
ARTE Reportage est diffusé sur l’antenne d’ARTE, mais aussi disponible sur la plateforme (en 6 langues) ainsi que sur YouTube. Chaque reportage suscite de nombreux commentaires et “notamment pour souligner le respect du sujet traité”. Les chiffres de 2024 sont impressionnants : YouTube : 76 Mo de vues cumulées – Plateforme arte.tv : 8 Mo (+ 50% par rapport à 2023) – à l’antenne, l’audience reste stable.
L’émission est la deuxième émission d’info la plus regardée sur YouTube. ARTE Reportage ne traite pas les sujets selon le prisme et les intérêts français et allemands, “des formats qui s’exportent bien”. L’approche est pédagogique et permet de “sortir du cocon”.
« L’INFO ON VA LA CHERCHER »
Nous l’avons dit plus haut, les reportages d’ ARTE Reportage sont régulièrement couronnés par des Prix lors des festivals internationaux. Dont dernièrement “Philippines : les petits forçats de l’or” Prix Albert Londres 2024. Des distinctions qui honorent la rédaction, mais ne trompent personne sur la disparition du grand reportage dans les autres médias.
Cependant Hérade Feist ne boude pas se fierté pour ces moissons de prix. Et, elle souligne “avant tout nous faisons des films pour le public, mais ces prix sont aussi des boussoles”.
Depuis 20 ans, ARTE Reportage diffuse des documentaires de qualité, mettant en lumière des enjeux sociétaux et humanitaires majeurs. Des informations ramenées du terrain, à l’heure du journalisme de desk, une belle contribution à la lutte contre la désinformation.
“L’info on va la chercher”, la base du métier, avec méthode et engagement. Et cela participe à renforcer la crédibilité des sujets traités. Depuis quelque temps, ARTE Reportage donne aussi un visage à l’information et donne la parole à ses reporters dans une série de vidéos portraits Récits de reporters . Une manière de montrer les coulisses et la réalité du métier, et de renforcer la confiance des téléspectateurs.
Propos recueillis par Anka Wessang.
*ARTE REPORTAGE
1000
Diffusion de la millième le 15 mars 2025
20 ans d’antenne
2000 reportages inédits
Mars, le mois de la millième sera le mois du grand reportage et de la profession reporter sur ARTE – 4 émissions spéciales :
8 mars Les guerres de Poutine de Manon Loizeau
15 mars Le Proche Orient, de la guerre en Syrie à Gaza de Marcel Mettelsiefen
22 mars La migration, l’exil de Thomas Dandois
29 mars Rêver un autre monde de Solène Chalvon-Fioriti et Hamida Aman fondatrice Radio Begul Afghanistan
Sur la plateforme : 10 reportages rediffusés pour revisiter 20 ans d’histoire sur les 5 continents
2004 Naître à Grozny de Manon Loizeau Premier reportage diffusé dans ARTE Reportage
2014 Syrie : la vie obstinément de Marcel Mettelsiefen Grand prix Bayeux
2016 Gaza : la grande évasion de Thomas Dandois Grand Prix Figra 2017
2018 Corée : les hommes de Kim de Marjolaine Grappe Prix Albert Londres 2018
2019 Yémen : à marche forcée de Charles Emptaz et Olivier Jobard Grand prix moyen format DIG awards et prix image Bayeux 2019
2022 Rwanda : le silence des mots de Gaël Faye
2023 Ukraine : un photographe dans la guerre d’Edward Kaprov Grand prix Bayeux 2023
2023 Sénégal : l’exode des pêcheurs de Fabien Fougère Grand prix Figra 2024
2023 Philippines : les petits forçats de l’or d’Antoine Védéheillé et Germain Baslé Prix Albert Londres 2024
2024 Afghanistan : radio begum la voix des résistantes de Solène Chalvon-Fioriti
Une soirée débat sur la profession reporter le 18 mars en partenariat avec RSF, au Forum des images à Paris.