Fermez les yeux et réfléchissez : depuis combien de temps avez-vous passé une journée sans avoir eu le besoin ou l’envie de consulter votre smartphone ? Depuis combien de temps avez-vous passé une journée sans une seule minute devant un écran ?

Vous avez sans doute du mal à répondre et c’est normal. En deux décennies, le numérique s’est imposé, partout, rythmant nos vies professionnelles et quotidiennes…

C’est un outil de productivité, de lien social, un vecteur de divertissement et d’information…
Il serait donc irréaliste de préconiser se s’en débarrasser complètement. À l’inverse, en faire « l’Alpha et l’Oméga[1] », la solution à tous les problèmes ne serait pas non plus raisonnable. Il est aujourd’hui nécessaire de prendre du recul sur ses impacts.

Car le numérique a un impact : sur l’environnement pour commencer. On pense souvent aux mails qui surchargent nos boîtes de réception, à la consommation électrique et au refroidissement des serveurs de données. Mais le premier impact du numérique est imputable à l’extraction des minerais / terres rares et de leur transformation en composants pour la fabrication des terminaux. L’extraction des terres rares nécessite l’utilisation d’acides et de solvants qui ont un impact dramatique sur l’environnement et la santé humaine (pollution, destruction de la biodiversité, augmentation des problèmes sanitaires…)[2]. Songez que la fabrication d’un ordinateur de 2 kg mobilise 800 kg de ressources (200 kg d’énergies fossiles, 600 kg de minéraux) et plusieurs milliers de litres d’eau douce. Cet univers virtuel, dématérialisé, ces documents que nous stockons sur des nuages qui semblent éthérés mobilisent « la plus vaste infrastructure jamais édifiée par l’homme », comme l’explique le journaliste Guillaume Pitron. Selon ses dires, Internet est un royaume de béton, de fibre, d’acier, de barrages hydroélectriques, de mines de métaux, de câbles sous-marins…[3]

Le numérique, c’est aussi un monde qui peut être difficile d’accès. En France, une personne sur six n’en fait pas usage, et 17 % de la population française est en situation d’illectronisme…

C’est aussi un monde qui a ses accrocs : nous vivons, pour reprendre les termes de Bela Loto Hiffler « en situation d’ébriété numérique »[4]. Le temps d’écran des usagers du web a littéralement explosé ces dix dernières années. Chez les 16-24 ans, il dépasse aujourd’hui les 11 heures (sur une journée de 17 heures éveillées). Cela a des conséquences neurologiques : baisse de la concentration, du sommeil, retards dans le développement entraînant des problèmes de langage… L’OMS recommande notamment de ne pas mettre les enfants en contact avec un écran avant 6 ans[5]… Si vous avez des enfants, vous savez a quel point cet idéal est presque impossible à atteindre.

Pourquoi asséner ces vérités ? Pour revenir à l’âge de la lampe à huile ? Non, bien sûr. Mais il est urgent de s’interroger et de regarder en face les impacts du numérique pour questionner son usage, à l’heure des limites planétaires.
Doit-on favoriser la croissance effrénée qui impacte l’ensemble du vivant et de l’environnement (y compris l’espèce humaine) ? Doit-on avantager cette économie de l’attention qui polarise les débats, nous enferme aux lieu de nous rapprocher ? Qui fait que « nous n’avons pas le temps alors que nous en gagnons toujours plus » comme le souligne Hartmut Rosa ?

Le numérique est un outil, une technique qui doit être mise au service d’un objectif, d’une vision… Et aller vers un numérique plus responsable commence par se poser les bonnes questions.

De la même façon, le secteur culturel que nous accompagnons, a pour objectif de faire prendre de la hauteur à ses publics, d’ouvrir leur regard, d’éveiller leurs sens. Une culture augmentée doit elle être une culture qui cède aux injonctions des tendances, de l’effet waouh ? Ou plutôt une culture qui permet d’enrichir ses publics par la vision qu’elle propose, les valeurs qu’elle défend ? Il s’agit en tous les cas de mettre en place une utilisation raisonnée, réfléchie, efficace des outils numériques en mettant en balance ce que leur utilisation peut amener de positif et ce qu’ils peuvent provoquer en terme d’impacts sociaux et environnementaux.

 

Cyril Leclerc
avec le collectif Les oeuvres vives
« Acteurs culturels : des pistes pour un numérique plus responsable » Télécharger le livre blanc

 

[1] Interview de Vincent Courboulay dans le Livre blanc « Acteurs culturels » – Des pistes pour un numérique responsable – page 71

[2] https://www.greenit.fr/empreinte-environnementale-du-numerique-mondial/

[3] Guillaume Pitron « L’enfer numérique, voyage au bout d’un like »

[4] Bela Loto dans le Livre blanc « Acteurs culturels » – Des pistes pour un numérique responsable – page 3

[5] Voir notamment le site de l’association « Lève les yeux » https://www.levelesyeux.com/pourquoi-lever-les-yeux/

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