Cher X,
Vos oreilles ont dû chauffer, en ce glacial matin de décembre.
Je découvrais alors ma voiture enveloppée de neige mais amputée d’un rétroviseur, démembré, qui
pendait misérablement sur son flanc. Des noms d’oiseaux ont fusé à votre anonyme intention, portés par
ma colère résignée face à la lâcheté humaine.
Quel concours de circonstances a-t-il fallu pour que, quelques heures plus tard, je découvre, sur le capot
encore enneigé, quelques lambeaux épars de papier ? Dessus, des pattes de mouche formant un « v… »
pour « vu », ai-je pensé, quelques mots, quelques chiffres…
Le coupable aurait-il été vu ? Justice sera-t-elle donc faite ?
Quelle main mystérieuse m’a ensuite permis de reconstituer, patiemment, le message détrempé et
éparpillé façon puzzle (l’exaspération, je l’avoue, avait décuplé mon énergie pour gratter le pare-brise) et
de voir apparaître : « mo…cami…gliss… sur…v…voitur…DSL… appelez-m…au … ». Du numéro de
téléphone, il ne me manquait au final qu’un seul chiffre.
Neuf innocents ont été réveillés aux aurores et je suis finalement tombée sur vous, Monsieur X,
conducteur du camion qui a dézingué mon rétro, à 5h du matin, sur une chaussée recouverte de glace.
Impuissante victime du « black ice , vous avez assisté à la lente attraction de votre camion vers mon
rétroviseur, puis glissé vos coordonnées sous l’essuie-glace.
« C’est moi, le coupable », avez-vous avoué au téléphone. L’honnêteté semble vous être une valeur chère
et je suis la première à m’en réjouir. Mais, est-il aussi « normal » que cela, comme vous l’avez dit,
d’assumer ses actes, comme vous l’avez fait ? Le réflexe premier consiste sûrement à qualifier de « rare »
votre comportement. Notre époque serait-elle celle de la malhonnêteté? Par votre geste, je veux croire,
comme vous l’avez dit, que non, vous n’êtes pas une exception. Je veux croire que la sollicitude envers
ses semblables est une valeur partagée par une silencieuse et invisible majorité.
A bien y réfléchir, il y a tant d’autres exemples au quotidien qui en témoignent. Des petits gestes qui
cultivent notre besoin vital de croire que « l’homme n’est pas un loup pour l’homme »
L’entraînement quotidien à la responsabilité individuelle doit certes exiger du courage, les contre-
exemples et rechutes existent, mais votre petite leçon, Monsieur X, m’a fait chaud au cœur.
En 2023, c’est promis, je soignerai mon capital confiance en l’humain et, surtout, je m’entraînerai moi
aussi à oser dire: « C’est moi, la coupable ! ».
Brigitte BERRA
Bibliothécaire à la Bibliothèque d’Alsace
brigitte.berra@alsace.eu