Najiba Sharif est journaliste, elle débute en 1982 à la télévision nationale afghane. Après la chute des talibans, en 2002, elle devient journaliste du magazine Roz (Le jour) créé avec l’aide de l’ONG Afghanistan Libre. «Son titre sonnait comme une lumière au bout de la nuit », se souvient Najiba. Le magazine Elle lui apporte son soutien.
En 2004, elle est nommée par le président Karzaï au poste de Secrétaire d’Etat à la condition féminine. Elle quitte le gouvernement puis est élue députée de la province de Kaboul. Son activisme met alors sa vie en péril. Elle rejoint la Suède puis la France, Mulhouse, en 2011 sous le statut de réfugiée politique. Elle a depuis obtenu la nationalité française.
Najiba Sharif est en relation avec le Club de la presse, dont elle a été membre, depuis quelques années (merci David Geiss), Elle a participé à plusieurs rendez-vous, autour du 8-mars et pour des actions d’Education aux médias.
Najiba Sharif a accepté de répondre à nos questions.
Quel est votre sentiment aujourd’hui, alors que les talibans contrôlent à nouveau le pays ?
Je suis très triste pour mon pays. Et pour les femmes en particulier, qui sont une part de ma vie, j’ai toujours travaillé avec et pour les femmes.
L’arrivée des Talibans anéantit tous les espoirs du peuple afghan, car malgré la corruption et l’injustice (le gouvernement avaient de très gros défauts et on n’a pas de très bons voisins) le peuple avait de l’espoir. Mais tout sauf les talibans.
Je suis très inquiète pour ma famille et mes amis.
Depuis dimanche mon ami et ancien confrère Daud Naeni fuit, il est très triste, il a même pleuré en me parlant au téléphone, ce qui dans notre culture, est inimaginable. Nous avons des contacts tous les jours, il est très inquiet pour sa femme et ses filles. Après avoir travaillé pour ROZ, il était chef du bureau de presse des forces armées afghanes, il est une cible potentielle, sa vie est en danger.
Par quels médias vous informez vous de la situation de votre pays ?
De très nombreux médias ont été créés depuis une dizaine d’années, avec l’aide internationale et des rédactions. Je pense qu’il y a plus de 100 télévisions afghanes et de nombreuses radio, un media qui est très écouté, en raison des mauvaises conditions de réception.
Mais la situation des journalistes est difficile.*
Je m’informe sur internet, il y a beaucoup d’informations.
Comment réagissent les médias afghans ?
Avant le 15 août, les médias afghans donnaient beaucoup d’information sur l’avancée des talibans et les risques que cela induisait. Ils sont maintenant silencieux.
Les Talibans cherchent aujourd’hui à présenter un visage plus modéré. Ils ont promis que s’ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les « valeurs islamiques ». L’un de leurs porte-paroles, Suhail Shaheen, a déclaré à la BBC que les droits des femmes seraient préservés, tout comme les libertés des médias et des diplomates. Faut-il croire ces déclarations ?
Pour le moment on ne sait pas, seul l’avenir nous dira. Mais ils n’ont laissé que des mauvais souvenirs. Nous comptons sur la pression internationale pour freiner ou au moins atténuer leur pouvoir. Sans pression, l’Afghanistan sera une fabrique de Talibans.
A ce moment de notre entretien, Najiba reçoit un appel téléphonique, des amis, réfugiés à l’Ambassade de France à Kaboul ont pu prendre un hélicoptère et rejoindre l’aéroport. Un petit soulagement.
Quelle est la condition des femmes afghanes actuellement ? Selon l’Organisation internationale du travail, outre l’arrivée d’élues au Parlement, la part de femmes sur le marché du travail a progressé depuis 2001, atteignant 21% en 2019. Est-ce que ces évolutions statistiques étaient visibles dans la vie quotidienne en Afghanistan ces dernières années ?
Avec l’aide des gouvernements étrangers et de nombreuses ONG, il y a des améliorations, mais ces évolutions sont inégales géographiquement.
Au Parlement où j’avais été nommée ce n’était pas un véritable pouvoir et surtout sans possibilité de s’exprimer librement. En fait je dirais que pendant cette dernière décennie, il y a eu plus de progrès pour les femmes dans les grandes villes, chez certaines familles médiatisées. Alors que pour les autres, c’est toujours les mêmes problèmes: pas d’accès à l’éducation, pas le droit de choisir son époux etc. Les femmes dans beaucoup de provinces sont toujours exclues.
Après l’entretien, Najiba a rappelé car elle souhaitait que l’on dise aussi combien elle aime la France qui l’a si bien accueillie. Et combien le discours de Macron (16/08/2021) avait été un réconfort et un espoir pour ses proches et elle-même.
La violence et le nombre de journalistes tués ont cependant légèrement diminué par rapport à 2018, année la plus meurtrière pour les professionnels de l’information depuis la chute des Talibans. A ces difficultés s’ajoutent la propagation de la Covid-19, qui a provoqué la mort d’au moins sept journalistes, et d’où découlent des problèmes économiques qui contraignent de nombreux médias à se séparer de leurs collaborateurs ou à recourir au chômage partiel (sans compensation financière).
Les femmes journalistes en sont souvent les premières victimes. Les mesures prises par le gouvernement et le Comité de coordination pour la sécurité des journalistes et des médias en faveur de la liberté de l’information ont été renforcées. Les femmes journalistes, malgré leur résistance, restent vulnérables dans un pays où la propagande fondamentaliste, très active dans plusieurs régions, font d’elles l’une de leurs cibles privilégiées. L’inquiétude est grande que les libertés fondamentales, et notamment celle des femmes journalistes, soient sacrifiées dans les efforts de paix en Afghanistan.
Face aux menaces, le Centre pour la protection des journalistes afghanes (CPAWJ), soutenu par RSF, a lancé plusieurs campagnes pour la protection des droits des femmes journalistes comme préalable à une paix durable. RSF – Classement mondial de la liberté de la presse 2021